Note de l’auteur: La Fête est un récit assez court, écrit à la fin des années 2010, quand l’idée de MetaStructure commençait à prendre forme. Il se déroule au début des années 90 et met en scène trois jeunes amis qui vont passer une soirée qu’ils ne sont pas près d’oublier. J’en dirai peut-être plus un jour, mais pour l’instant, je préfère vous laisser la surprise et vous laisser deviner quel est le lien qui unit cette histoire avec le reste.
Tom ouvrit la porte et se planta droit, les mains sur les hanches dans une pose qui n’était pas sans rappeler Superman. Le sourire carnassier qu’il arborait ressemblait à celui qu’il avait eu au même endroit avec la même pose environ un an plus tôt au lendemain de la perte de sa virginité.
David et Bruno étaient installés à la table basse du salon, en pleine partie de Blood Bowl, le jeu de plateau qui occupait la majorité de leur temps libre depuis bientôt deux mois.
Ils se tournèrent vers leur ami, toujours dans l’encadrure de la porte, moitié agacés d’être interrompus de la sorte, moitié intrigués par sa posture.
Tom ne bougea pas, il essaya juste d’agrandir son sourire un peu plus.
Bruno prit enfin la parole :
— Quoi ?
— Les gars…
— …
— Bon, tu la craches, ta valda ?!
— Les gars, reprit Tom, après une nouvelle pause cette fois plus courte pour que personne ne l’interrompe et ne lui casse de nouveau son effet, on est invités à la Fête ce soir !
— Cool. C’est chez qui ?
— Bon, lance ton dé, c’est ton tour…
— Non… Non, non, non….. Non, mes amis ! Tom affecta ce ton mi-paternaliste, mi-professoral qui le faisait parler comme un ministre de la quatrième république et qu’il aimait prendre accompagné d’un sourire en coin pour faire semblant d’être condescendant et pour ne pas avoir à l’être. Il ne s’agit pas d’une vulgaire fête chez un simple pote… Ah ! Ah ! Ah ! Vous n’y êtes pas du tout ! Non… On est invités à LA FÊTE !
— Attends… attends… la fête ? La Fête?
— Oui ! La Fête ! la Fête quoi….!
— Oh putain !
— Oui !
— Comment t’as fait ?
— Ouais, comment t’as fait ? Oh putain !
— Alors j’étais chez Alain et y avait son pote de lycée Didier là je le connais pas trop enfin il connaîtrait des gens de la Fête et il nous a invités.
— Quand ça. Ce soir ?
— Oui, ce soir, t’as pas entendu, il l’a dit en arrivant…
— Oh putain !
— Exactement : oh putain !
Après quelques secondes de silence, Bruno reprit
— Tu crois qu’il y aura des meufs ?
— Bien sûr qu’il y en aura ! Quelle question ! Par contre pas sûr qu’elles veuillent de toi !
— …
— Vous savez s’il faut emmener un truc ? S’il faut payer à l’entrée ? Comment ça marche ?
— Faut emmener un truc, je crois…
— Non, non, faut payer… Enfin, c’est ce que j’ai entendu.
— T’es sûr.
— Non.
— Euh les gars, et si on demandait à Alain, il y est déjà allé non ?
La Fête était l’un des lieux les plus mythiques de cette ville universitaire du sud de la France où les trois jeunes hommes à peine sortis de l’adolescence étudiaient depuis pas encore tout à fait deux ans en ce début des années 1990.
Nul ne connaissait les origines de la Fête, ni ne savait quand et comment elle avait débuté, et encore moins pourquoi elle avait duré.
Au tout début, pendant les premières heures, ça avait été une fête comme toutes les autres fêtes qui peuvent apparaître dans les appartements estudiantins les soirs de week-end.
Une fête qui dure tout un week-end, c’était un peu moins commun, mais ça n’entrait pas encore tout à fait dans le domaine de l’exceptionnel. Qu’elle se prolonge une fois le lundi arrivé, ça c’était par contre beaucoup plus rare.
Celle-ci ne s’était jamais interrompue.
Les détails étaient flous. Il paraîtrait qu’à ses débuts, elle se déplaçait d’appartement en appartement pour éviter les problèmes avec propriétaires, voisinages et autorités. Mais est venu un moment où elle s’est sédentarisée et fixée dans un appartement d’une taille assez imposante. Elle s’était ensuite peu à peu étendue à tout l’étage, puis à ceux du dessus et du dessous, pour finalement occuper une bonne partie du bâtiment qui l’hébergeait désormais.
Personne ne connaissait exactement les détails ou les modalités de la chose. Le mystérieux propriétaire du lieu était-il le tout aussi mystérieux organisateur ? Ou bien tolérerait-il juste la Fête grâce à un loyer substantiel ? Un autre arrangement plus opaque avait-il été conclu ? À défaut de réponse claire, les rumeurs les plus folles se sont mises à courir, mais la plupart des gens que le sujet intéressait ne se posaient pas trop de questions ou du moins pas sur les détails. Au final, personne ne s’émeuvait bien longtemps de ne pas avoir toutes les réponses.
Les nouveaux venus en ville entendaient parler de la Fête assez rapidement. Sa réputation s’était étendue aux trois campus de la ville, mais rares étaient ceux qui savaient où la trouver, encore moins comment s’y faire inviter.
Son emplacement suscitait bien des conversations. Le bruit courait qu’elle était située quelque part en plein centre-ville. Nombreux étaient les étudiants – surtout ceux de première année – qui avaient passé des heures à essayer de la localiser. Surtout les soirs de week-end après la fermeture des bars. À une époque, Tom et David en avaient même fait une sorte de challenge personnel – pendant trois nuits d’affilée – avant de passer à d’autres choses pas forcément plus constructives, mais clairement plus amusantes. Il leur était arrivé de croiser des gens qui revenaient de la Fête, mais ils n’avaient jamais réussi à leur tirer les vers du nez. Le bâtiment était toujours resté hors de leur portée. Le trouver n’aurait de toutes façons rien changé, ils n’auraient pu y entrer. Mais pour eux, arriver à localiser la Fête était la chose la plus réaliste qu’ils pouvaient espérer quand il était question d’approcher ce Saint Graal nocturne.
Pour pouvoir s’y rendre et y prendre part, c’était à la fois très simple et très difficile. Il suffisait juste de s’y faire inviter. Mais cela ne se faisait que par connaissances et relations. Il fallait connaître quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui…
La plupart des participants n’y passaient qu’une soirée, plus rarement un week-end entier, mais certains y restaient plus longtemps. La rumeur courait même qu’une poignée d’invités n’en étaient jamais partis.
Il se disait aussi que quand on en revenait, on en revenait changé. Pour la plupart des gens, il s’agissait juste d’un sentiment d’accomplissement. Être connu comme ayant participé à la Fête faisait beaucoup pour votre statut social en ville et ouvrait de nombreuses portes de la société noctambule locale.
On entendait aussi qu’après avoir participé à la Fête, il devenait difficile de pouvoir apprécier les autres soirées – les normales – comme avant. Certains vétérans de la Fête avaient perdu le goût des sorties et cessaient toute activité sociale les soirs de weekends. D’autres ne vivaient plus que pour retrouver cette expérience et ces sensations uniques. Ils faisaient tout pour y pouvoir retourner, au moins une fois. Il n’était pas impossible d’y parvenir, mais c’était là un privilège rare. Il y en avait qui avaient essayé d’organiser à leur tour une fête sur le même modèle. Il va de soi que toutes ces tentatives furent vouées à l’échec.
Une partie d’entre eux se perdaient de soirée en soirée, tombant toujours dans toujours plus d’excès, jusqu’au jour où ça se terminait très mal pour eux, d’une façon ou d’une autre.
Mais il y avait aussi les réguliers de la Fête, ceux qui pouvaient y retourner à leur guise. C’était en général par leur entremise que l’on pouvait se faire inviter. L’identité de ces réguliers était presque aussi légendaire que la Fête elle-même. Comment accéder à ce statut de “régulier” était l’un des secrets les mieux gardés de ce microcosme.
C’est avec tout cela à l’esprit, ce mélange de peur de l’inconnu, d’excitation, et d’espoirs fous que les trois jeunes hommes passèrent le reste de leur après-midi à se préparer, à imaginer mille et deux aventures rocambolesques peuplées de rencontres aussi farfelues que fantasques.
Le soir venu, à l’heure indiquée, ils s’étaient rendus au lieu du rendez-vous : un arrêt de bus non loin de l’appartement qu’ils partageaient.
Dans la rue, Tom avait bien lancé quelques blagues, mais les deux autres y étaient beaucoup moins réceptifs que d’habitude. Comment cela allait-t’il se passer ? Pourquoi un tel lieu pour le rendez-vous ? Et si tout cela n’était qu’un canular organisé par Alain ? Ils l’en savaient capable. Allaient-ils être à la hauteur là-bas ? À la hauteur de quoi ? Pourquoi trois étudiants sans histoire et peu de relations avaient-ils eu la chance rare d’être invités à la Fête sans même avoir essayé ? Ils n’étaient déjà pas les plus populaires dans leur cercles sociaux habituels, alors devenir membres des ces very happy fews ? C’était pas normal. Quelque chose clochait. Et si c’était un piège ? Si ça se trouvait, ils y faisaient des rituels sataniques dans cette Fête, et ce soir, c’était eux les victimes sacrificielles ?!
— Bon, on se calme un peu les gars ?
— Quoi ? Personne n’a rien dit !
— Exactement ! Personne n’a dit un mot depuis 10 minutes au moins. C’était quand la dernière fois qu’on a été tous les trois ensemble et que personne n’a parlé pendant 10 minutes ? Notre silence en dit plus que nos paroles s’il y en avait. Alors, je propose qu’on respire tous un grand coup et qu’on se calme !
— …
— Quelle heure il est ?
— Presque douze.
— Et ils avaient dit à quelle heure ?
— 21h00 précise. Ils sont en retard.
— Peut-être qu’ils le font exprès, pour être sûrs qu’on soit là les premiers.
— Ouais, c’est ça ! Comme ça ils peuvent nous observer et nous jauger sans qu’on le sache.
— Pourquoi ils feraient ça ?
— Chais pas. C’est peut-être pour nous kidnapper ?
— Bon, vous arrêtez le délire deux minutes ? S’ils nous ont vraiment invités et que c’est pas une mauvaise blague, ils savent déjà pas mal de trucs sur nous. Alors voilà ce qu’on va faire. On attend encore 5 minutes,
et si personne ne se pointe, on se casse à la Tireuse.
— C’est ça ! Pour que Marc se foute de notre gueule pendant au moins trois semaines pour avoir laissé filer une invitation à la Fête ? Ou pire si c’est un canular et qu’il l’apprend ! Là, il en a pour six mois à nous charrier.
— Exactement ! On va nulle part ailleurs. Soit on attend, soit on rentre, on se mate un film et on ne reparle plus jamais de cette histoire.
— Vous pensez qu’il y est déjà allé à la Fête, Marc ?
— Ben…
— Messieurs, bonsoir…
— Euh… Oui ?.. Bonsoir….
— Je vous prie de bien vouloir m’excuser de vous avoir fait attendre. Voulez-vous bien monter ?
Les trois amis n’avaient pas remarqué la grosse berline noire s’était arrêtée à quelques mètres, encore moins l’homme qui venait d’en sortir.
Ils se regardèrent. Aucun ne voulait être celui qui allait dire une connerie. Ils montèrent donc tous trois à l’arrière de la voiture sans mot dire.
Le trajet dura quelques minutes à peine. S’ils n’avaient pas été atteints d’un mutisme soudain mais temporaire, l’un d’eux aurait probablement fait une remarque sur le fait qu’on ne leur avait pas bandé les yeux. C’était bien le genre de trucs que Bruno aurait dit en temps normal.
La voiture s’arrêta au pied d’un immeuble assez banal, dans une petite rue du centre-ville. Tom était certain d’être passé devant des dizaines de fois.
L’homme brisa le silence :
— Nous sommes arrivés.
— Euh… On descend ?
— T’es con ou quoi ? Bien sûr qu’on descend.
L’homme leur sourit en refermant la porte de la voiture derrière eux. Il appuya sur un interphone à peine visible et chuchota quelque chose dedans.
Il les laissa sur le pas de la grande porte en vieux bois quand celle-ci eut terminé de s’ouvrir.
— C’est au troisième étage. Amusez-vous bien.
— Euh… Merci…
— Je vous souhaite une très bonne soirée.
— Euh… Merci…
La montée en ascenseur leur parut plus longue que le trajet en voiture. Au troisième étage, les portes s’ouvrirent sur un long couloir aux lumières tamisées et rempli de monde.
Les convives discutant à côté de la porte leur firent un bref sourire accueillant puis reprirent leurs conversations. Ce couloir ne menait pas à la Fête. Ils venaient de faire leur entrée dans la Fête.
Le grand appartement aux nombreuses pièces occupait tout l’étage, certainement plus. Plusieurs dizaines de personnes – jusqu’à une centaine peut-être ? – discutaient, buvaient, dansaient, mangeaient et prenaient du bon temps de toutes les façons dont on prend du bon temps dans les fêtes.
— Ah ! Les voilà ! Vous voici ! Les amis d’Alain ! Désolé je ne crois pas qu’il soit présent ici ce soir mais qu’à cela ne tienne soyez les bienvenus ! Bienvenus à la Fête ! Laissez-moi vous faire visiter les lieux et vous expliquer ce à quoi vous êtes en droit de vous attendre ce soir ! Mais d’abord je…
L’être qui s’adressait à eux sans même prendre le temps de respirer et qui se mit à voler d’une pièce à l’autre tout en prenant garde à ne pas perdre les trois amis était vêtu d’une chemise à jabot ouverte sur un T-Shirt orange et recouverte par une veste à queue de pie. Le tout associé d’un pantalon treillis en tartan rouge et vert. Il était coiffé d’un bonnet de bouffon comme on pouvait les imaginer à la cour du roi Henri III et son visage androgyne était teinté de tons métalliques autour des yeux et sur les lèvres.
Il semblait connaître tout le monde et il était visiblement en charge de s’assurer que les invités s’amusent bien. Il ne donna pas son nom, mais on put entendre quelques habitués l’appeler MC. Les trois nouveaux venus ne comprirent jamais si cet acronyme était le raccourci d’un prénom ou si c’était sa fonction.
Après leur avoir montré la plupart des pièces d’importance qui constituaient le lieu de la Fête, il les invita à se rafraîchir et se sustenter à leur guise selon ses propres termes puis disparut comme il était arrivé, avec de grands gestes et un flot de paroles ininterrompu.

Il les avait laissés devant le bar – devant l’un des bars – ils passèrent donc commande. Ils purent vérifier que les boissons étaient bien gratuites et à volonté comme ils avaient cru entendre (le?) MC le dire.
— Eh les gars regardez là bas ! Les trois types bleus. La légende était donc vraie !
La légende, c’était qu’il y a plusieurs semaines, une des soirées à thème les plus mémorables de l’histoire de la Fête s’était déroulée : La Soirée Bleue. Et il se disait en ville que certains des participants de cette soirée n’en étaient tout simplement jamais partis et avaient décidé de perpétuer la Soirée Bleue pour aussi longtemps que possible. Ils étaient devenus les vétérans de la Fête et de véritables légendes dont la réputation s’était étendue à une bonne partie de la population estudiantine locale, même si – comme toutes les autres choses ayant trait à la Fête – le débat faisait rage quant à la véracité de la rumeur.
L’un des Hommes Bleus passa tout près d’eux et commanda un Blue Lagoon. À son retour du bar, il s’arrêta net devant Tom. Ils se dévisagèrent quelques secondes. Les yeux de l’homme bleu s’agrandirent.
— Tom ? Mais qu’est-ce que tu fais ici ?
— Euh… Je… Oh putain ! Gilles ? C’est toi ?
— Ben ouais. Oh la, la, ça fait longtemps !
— Et toi donc ! On se demandait tous où tu étais passé….
Tom et son ami bleuté commencèrent alors à s’informer l’un des dernières nouvelles du monde extérieur et l’autre des rouages de la Fête. David et Bruno se désintéressèrent peu à peu de cette conversation qui n’en finissait pas et ne les concernaient que peu. Ils se mirent à faire ce qu’ils avaient l’habitude de faire dans les fêtes habituelles : boire et tenter de faire la connaissance de membres du sexe opposé.
Bruno eut le plus de succès et se fit rapidement emporter qui sait où non pas par une, mais par deux charmantes jeunes femmes. Elles provenaient de quelque part en Europe centrale, mais c’est à peu près la seule chose que David eut réussi à apprendre à leur propos avant de perdre de vue son vieil ami et les nouvelles amies de celui-ci.
David se retrouva seul au milieu de la pièce et d’un groupe d’une dizaine de personnes qui discutaient et rigolaient et ne lui prêtaient pas la moindre attention. Il fit quelques pas en arrière et s’adossa au mur, regardant les gens qui passaient devant lui. Connaissait-il quelqu’un ? Non. Il semblait que non. Il alla dans la pièce voisine, puis celle d’après. Il trouva finalement une pièce un peu plus calme que les pièces bondées et celles où l’on dansait. Il essaya de capter un regard, puis un autre. Sans succès. Une troisième personne lui rendit son sourire, leva son verre dans sa direction et disparut avant que David ne puisse s’approcher. Dans la pièce suivante, un petit salon peu éclairé, il y avait un canapé en cuir violet. Une jeune femme, plutôt à son goût, était assise là, seule. Il prit son courage à deux mains, s’assit à côté d’elle et entâma la conversation :
— Bonsoir.
— Bonsoir.
— Je m’appelle David.
— Ah ouais ?… Super !… Acquiessa-t-elle avec un grand sourire.
— Euh… Oui… Et toi ?
— Ah ouais… Super !… Son sourire s’agrandissait.
— Tu… Tu t’appelles comment ?
— Ah ouais… Lorène… Je m’appelle Lorène… Elle continuait à acquiescer en souriant.
— C’est la première fois que tu v…. (Mais t’es con ou quoi ? Tu peux pas dire un truc encore plus bateau ?)
— Ah ouais… Super !… C’est génial ici, hein ?
— Euh ouais…
— Ouais…
— Et tu…
Elle ne le laissa pas finir sa phrase, elle se baissa, posa sa tête sur ses genoux et s’endormit dans la seconde qui suivit.
Il chercha du regard : une réaction d’une connaissance de la jeune femme, quelque chose comme ça… Personne ne se préoccupa ni de lui, ni d’elle. Il resta immobile quelques minutes. Cherchant encore un peu d’aide du regard mais sans trop d’espoir. Malgré le bruit ambiant, on pouvait entendre ses ronflements. Personne ne semblait les voir. Au bout d’un certain, il se décida. Il prit aussi délicatement que possible la tête de Lorène entre ses mains et il la déposa sur le canapé, se levant doucement en même temps. Il la regarda encore un peu, et ne la considérant pas en danger, il s’éloigna.
Il chercha Tom, mais pas moyen de lui mettre la main dessus. (Le ?) MC apparut soudain, mais il était déjà reparti avant que David ne puisse l’interpeler. Il tenta de se joindre à plusieurs groupes, mais à chaque fois sans succès. Malgré quelques regards et sourires polis, personne ne semblait vraiment intéressé par ce qu’il avait à leur dire, et il se rendit compte que le sentiment était souvent partagé.
Si bien que, moins d’une heure après son arrivée, il se retrouva à siroter seul une vodka orange assis sur un petit sofa d’un autre salon calme et peu bondé à l’étage supérieur de l’appartement géant. Un petit groupe de gens discutaient tranquillement trois mètres plus loin. Eux non plus ne semblait pas s’intéresser au jeune homme. Il n’essaya même plus d’engager la conversation.
David avait été invité à la Fête. Il s’y était rendu. Il y était ! Combien de gens auraient accepté de faire des trucs qu’ils auraient plus tard regretté pour pouvoir se retrouver à sa place ? Il avait eu cette chance unique… et au final, il s’y emmerdait comme un rat mort à cette Fête…
Et il n’aimait pas trop là où ça allait le mener. Il allait boire quelques verres de plus, s’emmerder un peu plus jusqu’à finalement quitter le lieu pour aller broyer du noir dans les rues désertes de la ville. Ou bien, il allait rester assis là où il était, en continuant à boire jusqu’à ne plus se souvenir du restant de la soirée (il serait simplement rentré chez lui en pilotage automatique, et se serait effondré sur son lit jusqu’à tard dans la journée suivante).
Il n’avait pas encore fait son choix quand on vint s’asseoir à côté de lui.
— Vous pourriez boire quelque chose d’un peu plus distingué. Les screwdrivers, c’est bon pour les soirées d’étudiants.
— Pardon ?
— Tenez, votre verre est presque vide. Venez avec moi au bar. On va vous trouver une boisson qui convient mieux.
— Mais je… Bof, ouais, si vous voulez…
L’homme avait la trentaine, un costume beige sans cravate, le cheveu brun bien peigné. Il était un peu étoffé sans toutefois être gros et son sourire inspirait la confiance.
— Ce sera un Manhattan pour moi. Et pour vous ?
— Euh… Je…
— Nicolas, mets-moi un deuxième Manhattan pour le jeune homme. Il ne connaît pas. Il est temps de lui faire son éducation.
— Mais je…
— Quoi ?
— Non, rien…
— Id.
— Quoi ?
— Je m’appelle Id. Vous, vous êtes David, c’est bien ça ?
— Euh, oui. Comment vous savez ?
— On m’a parlé de vous.
— Ah bon…
— Oui.
— Qui ça ?
— Ce n’est pas important maintenant. Nous avons d’autres sujets à aborder. Et commençons par le plus important de tous : Trinquons !
Le jeune homme trinqua avec Id. Il goûta au cocktail.
— Alors, il est comment ce Manhattan ? N’est-ce pas là le meilleur cocktail de votre vie ?
— Euh, oui…
— Vous allez voir, vous en boirez d’autres tout aussi goûteux, voire même meilleurs. Vous avez une tête à aimer le Dirty Martini. Personnellement, je préfère l’Extra-Dry. Nous essaierons les deux ensuite, vous me direz.
Id avait raison. Ce premier Dirty Martini fut une révélation pour le jeune homme. Ils burent et parlèrent. Ils parlèrent et burent. Ils parlèrent de mixologie, mais aussi de bien d’autres choses. De choses que David avait du mal à croire. De choses qui le firent rêver, qui l’intriguèrent. De choses dangereuses et attirantes. David buvait les paroles de ce Mr Id, encore et encore. Il était fasciné, hypnotisé. Quelque chose se produisit. Un déclic. Id lui révéla des choses qu’il n’aurait jamais pu imaginer et qui pourtant lui semblaient évidentes, presque familières. Ils parlèrent ainsi jusqu’à très tard dans la nuit.
Bruno passa l’une des plus belles soirées de sa vie. Tom aussi. Ni l’un, ni l’autre ne furent plus jamais exactement les mêmes par la suite.
David non plus.
Les deux amis ne revirent plus leur troisième comparse pendant très longtemps, des années. Mais avant la fin de la soirée, on vint leur dire de ne pas s’inquiéter. Bruno était de toutes façons trop occupé pour cela. Et Tom ne s’inquiéta donc pas quand il vit son ami monter dans l’ascenseur avec un homme au costume beige que le Maître de Cérémonie appelait Taulier.
Fin… Début…
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Author(s)
Français exilé à l'autre bout du monde, DavidB écrit. Il n'écrit pas toujours très bien, mais qu'importe, le but est d'écrire. Il fait aussi d'autres trucs parfois.
MetaStructure est un de ses plus vieux projets. Débuté au début des années 2000, il fut maintes fois interrompu, repris à zéro, recommencé. Mais il ne veut pas disparaître, alors mettons-le sur le web au lieu de le laisser dans des cahiers de notes et des fichiers .doc sur des disques durs.
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