C’était le plus odieux bouge de tout le Cambodge. Seul à une table, sous un ventilateur de plafond qui finirait bien par se décrocher tôt ou tard, l’Occidental maigrichon griffonnait dans un vieux carnet à couverture épaisse. L’établissement était presque vide. Juste une poignée d’habitués à moitié assoupis qui n’avaient nulle part où aller et qui profitaient du peu d’ombre et d’air vaguement frais que le lieu offrait en cette après-midi aussi chaude que toutes les autres.
Un léger tumulte à l’entrée de l’établissement lui fit lever les yeux. Deux gamins, 7 ou 8 ans environ, venaient d’entrer et se disputaient un bout de papier. Il reconnut les fils de son voisin. Il regarda de nouveau sa page mais les deux loupiots s’approchèrent de lui en courant.
— Monsieur Doc ! Monsieur Doc !… C’est moi qui lui donne !
— Monsieur Doc !… Non, c’est moi ! Donne-le moi !
Les deux jeunes garçons tiraient à eux la feuille et arrivèrent à la table de l’homme avec un morceau chacun qu’ils lui tendirent tout penauds. Ils s’enfuirent sans même demander une friandise en échange.
— C’est de ta faute !
— Non, c’est de la tienne !
— Oh la la, s’il le dit à Papa, qu’est-ce qu’on va se prendre !
L’homme laissa échapper un léger soupir et posa les deux morceaux déchirés du télégramme côte à côte sur la table.
Pas de signature, mais le message codé ne laissait planer aucun doute sur l’expéditeur.
Comment avait-on pu le retrouver ici, au plus profond du trou du cul du monde (et ça, l’odeur même le prouvait) ?
En fait, il s’en fichait un peu. Ce qui lui importait c’est qu’il était enfin temps de reprendre du service, de quitter ce tas de merde dans lequel il végétait depuis des mois. Des années peut-être ? Il commençait même à perdre la notion du temps.
Qu’avait-il espéré dans ce pays rongé par la pauvreté la plus crasse, sans plus de passé, et sans avenir ? Ses illusions sur une quelconque utilité à la communauté locale s’étaient envolées dès les premières semaines. Il se demandait souvent pourquoi il était resté, sans jamais trouver de réponse. L’espoir d’un mariage à la sauvette avec une fille du village voisin, histoire d’avoir la belle-famille aux basques ?
Il ricana le plus silencieusement possible. Derrière lui, un autre habitué du lieu, ancien Khmer rouge de son état, se mit lui aussi à rire. L’Européen lui fit un signe de la tête et un sourire poli en se levant. Il s’était toujours un peu méfié du vieux édenté sans jamais arriver à trop s’expliquer pourquoi.
Lentement, il sortit du bâtiment décrépit, évitant les bras langoureux de quelques gamines. Des printemps fanés.
Ouais ! Il était vraiment temps de partir.
(à suivre)
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Inspiration: FB
Source photo: Google Street View
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Français exilé à l'autre bout du monde, DavidB écrit. Il n'écrit pas toujours très bien, mais qu'importe, le but est d'écrire. Il fait aussi d'autres trucs parfois.
MetaStructure est un de ses plus vieux projets. Débuté au début des années 2000, il fut maintes fois interrompu, repris à zéro, recommencé. Mais il ne veut pas disparaître, alors mettons-le sur le web au lieu de le laisser dans des cahiers de notes et des fichiers .doc sur des disques durs.
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